
Il est absolument légitime que les autorités se saisissent vigoureusement de la question des morsures de chiens, car celles-ci sont un enjeu de sécurité publique. L’administration Coderre doit donc être saluée pour avoir perçu que son devoir était de réglementer la possession de chiens et de faire face aux risques afférents, d’autant que Montréal et le Québec ont pris dans ce domaine un retard évident par rapport au reste du Canada, aux États-Unis et à l’essentiel de l’Europe.
Encore convient-il de ne pas se tromper de cible et de profiter des expériences qui ont été réalisées pour faire d’emblée les meilleurs choix de réglementation.
La tentation de cibler des races spécifiques est si forte que de nombreuses législations, urbaines, provinciales et nationales, y ont cédé. À première vue, il paraît en effet légitime de retrouver chez certains chiens des caractéristiques de dangerosité et de les soumettre à un contrôle plus strict, voire à un bannissement en ayant le sentiment de contribuer à régler le problème. Or, les études reconnues montrent que les législations visant des races (LSR/BSL) ont échoué à réduire durablement le nombre de morsures et que des succès ont été enregistrés avec des lois et règlements visant des comportements à risque et non des animaux précis.
C’est ainsi que sont cités en exemple, notamment, les règlements de la Ville de Calgary ou une loi du canton de Neuchâtel, en Suisse. La comparaison des résultats obtenus par les deux types de règlements a mené l’administration Obama (en 2013) et 35 États à prendre fermement position contre les lois basées sur l’identification des races, alors que l’Italie, après avoir tenu à une telle législation durant plusieurs années et s’être retrouvée avec une liste toujours plus longue de races interdites, y a renoncé définitivement par une ordonnance du ministère de la Santé en 2013. Cette opinion est partagée par des organismes comme l’OMVQ et l’ACMV au Québec, Postes Canada, l’AVMA, l’AVSAB et le CDCP chez nos voisins du Sud, sur la base d’études documentées.
Coûteux et inefficace
Pourquoi l’équipe Coderre devrait-elle suivre ces recommandations et ces exemples et renoncer à cibler les pitbulls ? En quelques mots, parce que l’optique proposée dans le règlement prévu est en très grande partie inapplicable, qu’elle est discriminatoire et coûteuse, finalement inefficace.
Elle est inapplicable car la détermination exacte de la race d’un chien est scientifiquement impossible à effectuer avec certitude en l’absence de papiers d’ascendance, ouvrant la porte à des débats sans fin et à une explosion des frais encourus devant les tribunaux entourant les très nombreuses oppositions aux saisies qui ne sauraient manquer de survenir. Qui va déterminer la race d’un animal croisé ? Or, l’immense majorité des chiens détenus au Québec est issue de croisements, parfois sur plusieurs générations.
Elle est discriminatoire, notamment en cela qu’elle va entraîner pour les propriétaires de chiens identifiés comme des pitbulls des frais importants sans que leur comportement ait été inadéquat et sans que leurs chiens se soient mal comportés.
Elle est coûteuse en ce qu’elle va exiger un gigantesque effort de contrôle, irréalisable d’ailleurs dans les délais prescrits, et d’adaptation de l’administration (patrouilles canines, refuges, actes vétérinaires).
Elle est finalement inefficace en ce qu’elle va simplement pousser les humains qui cherchent à posséder un chien pour son apparence à choisir un animal issu d’une race à l’aspect impressionnant qui ne soit pas interdite et à reporter sur lui les mauvais traitements actuellement destinés aux pitbulls. De même, du fait de l’absence de toute conséquence pour les propriétaires de chiens s’étant révélés dangereux, ceux-là pourront acheter un autre animal en toute impunité.
Gestion responsable
N’y a-t-il donc aucune solution ? Au contraire : en s’inspirant des législations qui ont fait leurs preuves, le maire Coderre et son équipe, tout en conservant les neuf dixièmes du règlement actuellement rédigé, peuvent augmenter la sécurité des Montréalaises et Montréalais en ciblant les chiens problématiques, quelle que soit leur race, en établissant une administration adéquate appliquant réellement la réglementation (registres tenus à jour, enregistrement des animaux, stérilisation, micropuçage, vaccination), et en criminalisant adéquatement les maîtres indélicats pour éviter la récidive. Il serait aussi nécessaire de mettre en place un volet de prévention, contraignant les propriétaires de chiens, quelles que soient la taille et l’apparence de ce dernier, à suivre des cours avant et après l’acquisition de leur animal et sensibilisant les enfants dans les écoles à un comportement adéquat puisque c’est dans les familles que se produit la majorité des morsures répertoriées.
Ainsi, il est urgent de réglementer, non pour donner le sentiment qu’on agit à tout prix, mais pour proposer une gestion responsable et adéquate qui aide à résoudre le problème des morsures de chiens dans le respect de tous.