
Alors qu’on s’interdit, avec raison me semble-t-il, d’utiliser le terme « race » pour désigner les différentes variantes de l’espèce humaine, on n’hésite pas à l’utiliser pour désigner différentes variantes de chiens. On reconnaît le statut d’espèce aux chiens : ils appartiennent tous à l’espèce Canis lupus domesticus, qui elle-même se distingue plus ou moins fortement (selon les « races ») de son ancêtre Canis lupus, le loup.
Tous les chiens, on l’oublie volontiers, résultent de la domestication progressive du loup au cours des millénaires et toutes les « races » résultent de croisements imposés par l’humain qui a cherché à produire des animaux adaptés à ses différents besoins : chasse, protection du bétail, animal de compagnie, etc. Rien de « naturel » dans ce processus. Pour ce faire, on isole simplement et on fait se reproduire entre eux les individus qui se caractérisent par un haut degré d’une caractéristique recherchée : force, vitesse, agressivité ou au contraire docilité… sans compter la taille, la pilosité, l’apparence, etc. Au cours des générations, on arrive avec plus ou moins de succès à stabiliser un ensemble de caractéristiques voulues : on a artificiellement créé une « race ».
Le terme « pitbull » est porteur d’ambiguïtés. Il est utilisé pour désigner plusieurs variantes canines, dont les noms anglais seraient entre autres American Pitbull Terrier, American Staffordshire Terrier, American Bully et Staffordshire Bull Terrier. Pire encore, on appelle communément pitbulls des croisements entre ces variantes… et sans doute d’autres.
Quand donc une nouvelle variante de Canis lupus domesticus devient-elle une « race » aux yeux des humains ? Formellement, quand un organisme lui reconnaît ce statut, selon des critères morphologiques aussi bien que comportementaux, établis arbitrairement, par consensus. C’est par exemple ce que fait l’United Kennel Club, basé à Kalamazoo, dans le Michigan. L’UKC reconnaît plus de 300 « races » de chiens, parmi lesquelles on retrouve le représentant type des pitbulls qu’est l’American Pitbull Terrier. On apprend sur le site de l’UKC que ce pitbull a été développé au Royaume-Uni au cours du XIXe siècle en croisant des terriers avec des bulldogs, dans le but d’obtenir un chien « qui cumulerait toutes les qualités des grands guerriers : force, courage et douceur avec les proches » (sic). On y lit quand même aussi que les pitbulls font preuve d’un certain niveau d’agression canine et que, à cause de la puissance physique de ce chien, il lui faut nécessairement un maître capable de développer ses aptitudes sociales et d’entraîner efficacement le chien à l’obéissance.
Une étymologie instructive
L’étymologie du terme pitbull est fort instructive. « Pit » fait référence aux fosses où s’affrontaient des animaux destinés au combat, tandis que « bull » renvoie aux taureaux que devaient maîtriser des chiens sélectionnés pour ces « joutes » sanguinaires, qui ont été fort populaires au XIXe siècle. On oublie trop facilement que les pitbulls ont donc été développés à l’origine pour s’attaquer à des taureaux, à des ours, dans ces joutes, pour participer ensuite à des combats à mort entre des chiens… et que les pitbulls se tiraient fort bien d’affaire. Une fois ces combats interdits, les pitbulls se sont distingués dans des concours où l’on couronnait le chien capable de tuer un maximum de rats dans un minimum de temps. Les pitbulls ont par la suite surtout été utilisés par des agriculteurs et des éleveurs afin de protéger leurs troupeaux semi-nomades, avant de gagner les villes.
Il me semble donc légitime de poser la question de la pertinence de la présence de ces molosses dans les milieux urbains. Si l’humain s’arroge le droit de créer des « chimères », n’a-t-il pas tout autant le devoir, l’obligation de les maîtriser, d’en contrôler la distribution, peut-être même de les éliminer ?
Certes, tous les pitbulls ne sont pas des monstres. Dans toute espèce animale, la variabilité interindividuelle est une constante : certains pitbulls ne présentent probablement pas de danger, d’autres au contraire sont des bombes à retardement. Le problème est bien sûr que, quoi qu’on en dise, il est impossible de déterminer avec certitude le potentiel de chacun, ni de prévoir comment chacun évoluera en fonction des changements dans son environnement physique, social et organisationnel. Mais on ne peut pas ne pas tenir compte du bagage génétique des pitbulls, ni oublier qu’ils ont été créés pour agresser. N’existe-t-il pas assez d’autres « races » canines pour répondre à tous les besoins, sans faire appel à des bêtes aussi potentiellement dangereuses ?