
Véritable forêt urbaine au coeur de Westmount, le bois Summit est au centre de déchirements entre des propriétaires de chiens qui vont y promener leurs compagnons à quatre pattes sans laisse et des gens inquiets pour leur sécurité et pour la préservation de l’environnement de ce boisé « unique ».
Tous conviennent que, depuis des décennies, le bois Summit — l’un des trois sommets du mont Royal — accueille, pendant certaines périodes, des chiens qui s’y promènent sans laisse. Une rareté, faut-il souligner.
« Je suis très reconnaissante que ce lieu existe », lance Molly Erdstein, 26 ans, croisée sur l’un des sentiers du boisé. Sa balade quotidienne avec Luna ne serait pas aussi bénéfique si sa chienne devait être tenue en laisse, dit-elle. « C’est une meilleure expérience pour nous deux. Je peux me promener à mon rythme en profitant des beautés de la nature pendant que Luna dépense plus d’énergie que lorsque je la promène avec sa laisse. »
Un peu plus loin, Sandra Sciangula parle elle aussi avec enthousiasme de la communauté de promeneurs de chiens qui se baladent quotidiennement au bois Summit. « Ça me fait du bien d’être ici. Que mon chien Rocky soit sans laisse, ça lui donne plus de liberté pour interagir avec les autres chiens. Il est plus amical. »
Mais voilà que, depuis la pandémie, le mot s’est passé et l’affluence a augmenté. Lors des belles journées d’été, les chiens se comptent par dizaines sur ce site de 23 hectares, autrefois propriété de l’Université McGill, désigné comme « sanctuaire d’oiseaux et de fleurs sauvages » par la Ville de Westmount.
Hors des sentiers
« C’est vraiment un endroit extraordinaire, affirme à son tour John Fretz, qui est lui aussi propriétaire d’un chien. Mais avec un groupe de citoyens de Westmount, ce passionné de biologie s’oppose à la présence de chiens sans laisse au bois Summit.
« Un chien sans laisse, c’est difficile à contrôler », fait-il valoir. S’il chasse un écureuil, par exemple, le chien va sortir des sentiers, piétiner des plantes et perturber l’habitat de l’impressionnante variété d’oiseaux qui se trouvent dans le boisé, dont plusieurs espèces font leurs nids près du sol et mangent des insectes directement dans la terre, argue-t-il.
Étude à l’appui, il ajoute que le nombre de plantes et de fleurs sauvages sur le site a radicalement diminué dans les dernières années. « [La présence de chiens sans laisse] a un impact énorme. Il faut sauver le bois Summit », affirme-t-il.
En mars, des citoyens ont envoyé une « mise en demeure » à la Ville de Westmount lui intimant de se conformer à la Loi visant à favoriser la protection des personnes par la mise en place d’un encadrement concernant les chiens. Adoptée par Québec en 2018, deux ans après la mort de Christiane Vadnais, victime d’une attaque mortelle par un chien, cette loi oblige les gens à tenir leurs chiens en laisse, sauf dans une aire d’exercice canin.
Changement de dénomination
Quelques semaines plus tard, en mai, le conseil municipal de Westmount a plutôt changé la dénomination du bois Summit pour en faire une aire d’exercice canin. « Il n’y a pas eu de changement d’usage, c’était juste [un changement] administratif avec le wording pour la loi provinciale », soutient en entrevue la mairesse de Westmount, Christina Smith. « Environ 99 % des gens sont contents de [cet usage]. »
Le bois Summit n’est pas délimité par une clôture. Mais rien dans la loi ne précise qu’une aire d’exercice canin doit être clôturée. Selon Maxine Cuttler, une avocate à la retraite qui fait partie des habitants de Westmount s’opposant à la présence de chiens sans laisse, il est clair que, dans la pratique, les parcs à chiens sont clôturés et sont spécifiquement aménagés pour cette fonction. « Comment peuvent-ils empêcher quiconque de se faire attaquer ? C’est un espace ouvert », dénonce-t-elle.
Dans les derniers mois, une pétition a été lancée pour réclamer que les chiens soient tenus en laisse en tout temps. Et une autre a été rédigée par des propriétaires de chien souhaitant continuer de circuler avec leur bête, sans laisse, au bois Summit. « C’est la première fois depuis mes sept années à la mairie qu’on a un problème avec ce dossier », mentionne Christina Smith.
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Horaire
Selon l’horaire en vigueur, les chiens peuvent se promener sans laisse de 5 h à 10 h, puis de 17 h à minuit, sauf pendant la période de migration des oiseaux, de la mi-avril à la mi-juin. Tous les chiens doivent absolument porter une médaille remise par la Ville de Westmount. Celle-ci peut être acquise par des non-résidents.
Également ce printemps, le conseil a entériné une hausse du coût de la médaille de 50 $ à 100 $ pour les non-résidents, et les amendes pour des infractions à la réglementation (non-respect de l’horaire du sans-laisse, du port de la médaille, du ramassage des excréments, etc.) sont passées à 500 $. Davantage de patrouilleurs sillonnent aussi les sentiers, assure la mairesse.
Christina Smith — qui affectionne elle-même les promenades au bois Summit avec son chien, Charm — croit qu’un équilibre a été trouvé. « C’est sûr qu’il y a des gens qui pensent qu’on n’est pas là. Et il y en a d’autres qui veulent aller [au bois Summit avec leurs chiens sans laisse] sept jours sur sept, douze mois par année, toute la journée. On leur a dit non. Tout le monde n’est pas content, mais c’est ça, la vie politique. »
Contrairement à ce qu’indique une information ayant circulé dans un journal local, il n’y a pas eu d’attaque de chien sur la rue bordant le bois Summit à la mi-juin, a confirmé au Devoir la police de Montréal. La Ville de Westmount ne nous a pas fourni, dans l’immédiat, de données permettant d’évaluer le nombre de morsures ayant eu lieu au bois Summit au cours des dernières années.
Pour John Fretz, la sécurité du public est en jeu et il est clair à ses yeux que les promeneurs de chiens sans laisse prennent les meilleures heures, avant et après la journée de travail. « Tout le monde devrait avoir un accès égal au bois », affirme-t-il.
Mais pour Brian, qui se promène avec sa chienne, Bella, ceux qui n’aiment pas les chiens disposent de suffisamment d’heures quotidiennement pour se promener au bois Summit. « Ceux qui vivent dans le voisinage savent que c’est un espace ouvert aux chiens depuis des décennies. Il n’y a rien de nouveau. »
À ses côtés, son beau-père, Douglas Wetherup, ajoute que le lieu n’a pas son pareil à Montréal. Les parcs à chiens traditionnels sont beaucoup plus petits et surchargés, dit-il. « Ici, c’est la nature à son meilleur. »