
On trouve des truffes dans presque toutes les forêts du monde. Au Québec, on en a découvert pour la première fois dans les années 1980. Et depuis, l’engouement pour ce champignon souterrain aux propriétés aromatiques uniques et prisées des chefs cuisiniers s’est emballé au point où on a même commencé à en cultiver.
À ce jour, une bonne quinzaine d’espèces ont été identifiées au Québec, dont au moins cinq ont de bonnes propriétés gustatives. Plusieurs de ces espèces ont été découvertes par la biologiste de la forêt Véronique Cloutier, au cours de sa maîtrise et de son doctorat à l’Université Laval.
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Comme ces champignons souterrains transmettent leurs spores par l’intermédiaire des petits mammifères qui les mangent, Mme Cloutier a attiré ces animaux en déposant au pied des arbres des graines ainsi que des bardeaux de cèdre imprégnés de l’odeur de truffes. Elle a ensuite recueilli les excréments que les campagnols et les écureuils volants avaient laissés derrière eux après avoir mangé les graines et les truffes. Puis, elle a effectué une analyse génomique de ces excréments (de l’ADN présent dans ces excréments), ce qui lui a permis de savoir quelles espèces de champignons souterrains étaient présentes dans cette forêt. Finalement, elle est retournée aux endroits précis où elle avait recueilli les excréments pour prélever des échantillons de ces champignons, dont elle a ensuite étudié l’aspect macroscopique et microscopique.
C’est ainsi qu’elle a mis au jour plusieurs espèces indigènes de truffes, dont certaines étaient complètement inconnues, car elles ne correspondaient « à aucune des références mondiales tant au niveau macroscopique, microscopique que de l’ADN ». Elle en a même nommé une Tuber pichei.
Ces différentes espèces de truffes ressemblent à des truffes en chocolat, mais en plus petit. Au Québec, on en trouve des blanches, des noires, des pourpres, des lilas et beaucoup de couleur cannelle. Pour l’instant, la plus connue et la plus intéressante d’entre elles est la truffe des Appalaches, du nom scientifique Tuber canaliculatum, qui est pourprée. C’est l’espèce qui a été choisie pour la trufficulture qui se pratique actuellement dans l’est du Québec.
Les truffes vivent en symbiose avec diverses espèces de conifères et de feuillus, à l’exception des érables qui établissent quant à eux des associations symbiotiques avec des champignons endomycorhiziens plutôt qu’ectomycorhiziens comme les truffes.
Les champignons ectomycorhiziens, tels que la truffe, sont macroscopiques et se développent entre les cellules des racines. Par contre, les champignons endomycorhiziens — que l’on répand dans nos jardins comme engrais — sont microscopiques et pénètrent dans les cellules des racines, précise Mme Cloutier.
La truffe se compose principalement d’un sporophore, l’organe qui renferme les spores, qui constitue la partie charnue du champignon, soit celle que l’on mange. Elle comprend aussi des racines, appelées hyphes, qui se présentent sous forme de filaments. Le réseau racinaire que forme l’ensemble des hyphes se nomme le mycélium.
Dans cette relation symbiotique que la truffe entretient avec un arbre, elle fournit à ce dernier les minéraux qu’elle va puiser beaucoup plus loin et plus rapidement, grâce à son mycélium, que ne peuvent le faire les racines de l’arbre. « Les hyphes ont en effet un rapport surface-volume beaucoup plus grand que celui des racines de l’arbre et ils se développent beaucoup plus rapidement, ce qui leur confère un avantage sur les racines des arbres. Et en plus, les hyphes peuvent se gorger d’eau. Ils constituent ainsi un réservoir d’eau qui peut servir à l’arbre en cas de sécheresse », explique Véronique Cloutier.
L’arbre quant à lui procure aux truffes des sucres, qu’il génère lors de la photosynthèse. « Il leur en fournit beaucoup plus à partir du mois d’août, car les sucres qu’il produit à partir de ce moment-là ne lui servent plus à créer du feuillage. L’arbre les envoie alors dans ses parties souterraines, et notamment aux champignons qui sont associés à ses racines, plutôt que dans ses parties aériennes qu’il ne développe plus. C’est donc pour cette raison que la majorité des champignons sortent l’automne », souligne la spécialiste des champignons.
Récolte
Comment procède-t-on pour récolter les truffes ? Dans la forêt, on déblaie doucement au pied des arbres, là où on trouve plusieurs trous creusés par de petits mammifères. « Ces trous veulent dire que ces petits mammifères sont allés chercher ou porter quelque chose sous terre. S’ils sont allés porter quelque chose, on trouvera des cônes de résineux, des cônes de pin, des noisettes ou des glands de chêne qu’ils ont cachés. S’ils sont allés chercher quelque chose, on trouvera probablement des truffes. Mais ils auront probablement pris un spécimen mature et laissé des immatures », précise Mme Cloutier.
L’humain n’arrive généralement pas à différencier les truffes matures des truffes immatures à l’oeil nu. « Il est possible de le savoir en regardant les spores, mais si on fait cette manipulation, on doit disséquer la truffe et alors on ne peut plus la vendre à des chefs cuisiniers », indique-t-elle.
Les truffes matures vont relâcher une odeur plus forte que des animaux peuvent dépister. Traditionnellement, on faisait appel à des truies parce que les truffes émettent une odeur de phéromones de porc mâle qui les attire. Mais on a changé pour des chiens parce que les anciens trufficulteurs se faisaient couper des doigts lorsqu’ils tentaient d’arracher les truffes de la gueule des truies. « C’est plus facile avec les chiens. Le chien est souvent plus intéressé à nous faire plaisir et à recevoir des caresses ou des friandises en récompense qu’à trouver et manger les truffes », affirme-t-elle.
Il faut toutefois entraîner les chiens, contrairement aux truies. Environ deux mois sont généralement requis pour dresser un bon chien. « On choisit des chiens qui ont un bon nez. Le Lagotto Romagnolo est une race qui a été sélectionnée spécifiquement pour dépister les truffes », précise Jérôme Quirion, cofondateur et copropriétaire de Truffes Québec.
Il y a des chiens qui vont déterrer la truffe, d’autres vont simplement donner des coups de patte à l’endroit où elles sont enfouies, d’autres encore, comme Taouk, le berger australien de Jérôme Quirion, s’assoient et regardent leur maître dans l’attente d’une récompense. Tout dépend de la façon dont on a dressé les chiens.