Le détartrage canin, un acte pourtant réservé aux vétérinaires, est pratiqué sans anesthésie par différentes entreprises, selon les informations recueillies par Le Devoir. Le phénomène persiste, même si les tribunaux québécois ont procédé à six condamnations pour pratique illégale de la médecine vétérinaire liée au détartrage depuis 2017.

En se présentant d’abord comme propriétaire d’un bouledogue français, Le Devoir s’est vu offrir un détartrage sans anesthésie dans un élevage de Saint-Lin–Laurentides, pour le coût de 400 $. Un salon de toilettage de L’Île-des-Soeurs a quant à lui renvoyé notre journaliste vers un service de « nettoyage dentaire cosmétique » mobile établi en Ontario, mais pratiquant également au Québec, notamment dans le stationnement du salon.

Le détartrage sans anesthésie constitue un problème de santé animale, notamment parce qu’il peut empêcher de bien détecter les infections, ou même parce qu’il peut nuire encore davantage à l’hygiène buccodentaire de l’animal, selon cinq vétérinaires consultés par Le Devoir, dont le porte-parole et président de l’Ordre des médecins vétérinaires du Québec (OMVQ), le Dr Gaston Rioux.

En vertu de la Loi sur les médecins vétérinaires, le détartrage de dents d’animaux de compagnie est un acte réservé aux vétérinaires inscrits au tableau de l’OMVQ, et ce, que le service soit prodigué au-dessus ou en dessous de la gencive, avec ou sans anesthésie générale. Le détartrage demeure par conséquent illégal s’il n’est pas réalisé par un vétérinaire ou sous sa supervision directe, et les contrevenants s’exposent à une amende pour exercice illégal de la médecine vétérinaire pouvant aller jusqu’à 62 500 $.

« Quand les gens font enlever du tartre en surface, ce n’est pas ce type de tartre qui est le plus problématique», explique le Dr Jérôme D’Astous, médecin vétérinaire et spécialiste en dentisterie animale, en entrevue avec Le Devoir. « C’est là, le danger. Les gens surestiment les bienfaits de ces soins-là, explique-t-il. Ils attendent et quand on les voit plus tard, l’infection est très sévère et généralisée. C’est un faux sentiment de bien faire les choses », prévient le vétérinaire spécialiste.

C’est pourquoi l’anesthésie est donc nécessaire selon le Dr D’Astous, afin d’éviter que l’animal ne bouge, se blesse ou ne morde le vétérinaire dentiste, mais aussi pour assurer la bonne manipulation des instruments et éviter les dégâts pouvant être causés à l’émail lors du détartrage et du polissage de l’ensemble de la bouche par le vétérinaire.

Des détartrages à l’ultrason chez une éleveuse

« Les vétérinaires, ils ne veulent pas de nous », confie au Devoir la propriétaire d’élevage Chantal Therrien Costa, qui effectue des détartrages canins sans anesthésie depuis 22 ans. « Mon travail versus le travail d’un vétérinaire, c’est la même durée de temps, et il y a zéro différence », affirme l’éleveuse. Elle explique réaliser le détartrage des dents avant et arrière ainsi que le polissage à l’aide d’instruments de dentisterie, plus précisément « l’ultrason et le crochet ».

Selon l’éleveuse, il n’y a aucun risque à sa pratique. « La seule affaire qui arrive quand je fais le détartrage, c’est que [parfois] les gencives saignent. C’est normal, parce que l’ultrason, je le rentre en dessous pour aller enlever le tartre entre les gencives », explique-t-elle. L’éleveuse affirme effectuer des détartrages régulièrement, « à peu près deux par semaine », et qu’elle possède une assurance pour les animaux sous ses soins, sans être en mesure de préciser de quel type.

À la suite de son entretien avec Le Devoir, l’éleveuse affirme avoir retiré toutes les publicités offrant ses services de détartrage sur Kijiji et Facebook. Elle souligne ne pas avoir été consciente que cette pratique était illégale et a affirmé qu’elle mettait donc fin à cette pratique. Le Devoir a depuis constaté que les publicités en question avaient bel et bien été retirées.

Une entreprise ontarienne… à L’Île-des-Soeurs

À L’Île-des-Soeurs, le salon de toilettage Mon bel ami organise des séances de détartrage sans anesthésie en faisant appel aux services de K9 Plaque Master, une entreprise de détartrage établie en Ontario. Joint par Le Devoir à titre de faux client, le réceptionniste du salon Mon bel ami nous informe qu’il attend la visite de l’entreprise K9 Plaque Master prochainement et que le salon avait déjà dirigé 24 clients vers ces « hygiénistes dentaires » qui « viennent tous les trois mois ».

K9 Plaque Master se déplace à travers le Canada afin de proposer des détartrages sans anesthésie au prix de « 235 $ cash, sans taxes », selon le texto envoyé au Devoir par la responsable de l’entreprise, Paniz Mahdizadeh-Safa. Les vidéos présentées sur la page Instagram de l’entreprise, une vidéo transmise par le salon Mon bel ami, ainsi que le témoignage de la gestionnaire du salon, Catherine Tonton, confirment que les employés de K9 Plaque Master, équipés d’instruments de dentisterie, grattent manuellement et sans anesthésie le tartre dans la bouche des animaux, qui sont saucissonnés dans une couverture à des fins de contention.

K9 Plaque Master exige de ses clients de signer des formulaires de consentement sur lesquels l’entreprise et sa responsable indiquent qu’ils « ne sont pas des vétérinaires » et que le nettoyage des dents est « uniquement cosmétique ». La compagnie ne prétend donc pas offrir de soins au sens de la Loi sur la médecine vétérinaire. « Selon mes recherches, rien de ce que je fais n’est illégal », se défend Mme Mahdizadeh-Safa par texto.

Quant à la gestionnaire du salon Mon bel ami, Catherine Tonton, cette dernière se dissocie totalement de l’entreprise K9 Plaque Master, affirmant en entrevue téléphonique qu’elle offre simplement des services pour le bien-être des animaux et qu’elle se contente de diriger ses clients vers K9 Plaque Master, qui se rend en camion dans le stationnement du salon pour effectuer des détartrages sur place.

Bien que le détartrage sans anesthésie soit légal en Ontario lorsqu’il est effectué au-dessus de la gencive, l’acte demeure néanmoins réservé aux médecins vétérinaires au Québec. « Selon les lois et règlements du Québec, c’est donc de la pratique illégale », confirme le président de l’OMVQ, le Dr  Gaston Rioux.

Je vois les dents du chien et je dis : “Wow, elles sont pseudo-propres !” La partie visible a l’air propre, mais en dessous de la gencive, c’est dégueulasse. Faire détartrer son chien sans anesthésie, c’est comme tailler un arbre dont le tronc est déjà mort.

La Dre Isabelle de Han, propriétaire de la Clinique vétérinaire Île-des-Soeurs, condamne ouvertement la pratique du salon Mon bel ami et affirme que ce type de détartrage lui occasionne davantage de travail qu’il ne lui en prive. « Le chien va [subir] la procédure [chez Mon bel ami] et, deux mois plus tard, je fais l’examen de routine », relate la vétérinaire, se souvenant d’un cas traité à sa clinique.

«Je vois les dents du chien et je dis : “Wow, elles sont pseudo-propres !” La partie visible a l’air propre, mais en dessous de la gencive, c’est dégueulasse. Faire détartrer son chien sans anesthésie, c’est comme tailler un arbre dont le tronc est déjà mort », illustre la vétérinaire.

L’accessibilité aux soins dentaires

Selon le Dr Yvan Dumais, clinicien enseignant à la Faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal, 80 % des patients animaux qu’il réfère auraient besoin de soins dentaires. Pour éviter des soins additionnels, le Dr Dumais conseille de brosser les dents de son animal chaque jour, de lui faire passer un examen dentaire une fois par année et de le soumettre aussi à un détartrage annuel.

Les coûts se situent généralement au-delà de 529 $, polissage compris, auxquels s’ajoutent 219 $ pour des radiographies effectuées aux deux ans, en sus des frais liés aux complications, selon les données en pratique des petits animaux de l’Association des médecins vétérinaires du Québec. « Je vois les sacrifices que les gens font pour avoir un chien et pour [le garder] en santé. La médecine vétérinaire est tout le temps meilleure et elle coûte tout le temps plus cher [que des soins non vétérinaires] », se désole témoigne le Dr Dumais.

Faute d’être en mesure de payer la facture, certaines personnes vont tenter de détartrer eux-mêmes leurs animaux. Sandra, qui ne souhaite pas dévoiler son nom de famille en raison de l’illégalité de la pratique, s’est procuré elle-même des instruments de dentisterie sur Internet pour épargner sur les soins à prodiguer à son animal. La résidente de Rouyn-Noranda a indiqué ne plus pouvoir payer une somme aussi élevée pour son animal, un témoignage semblable à celui rapporté par les entrepreneurs non vétérinaires joints par Le Devoir dans le cadre de ce reportage. Tous accusent la hausse des frais vétérinaires de miner l’accessibilité aux soins.

Le Dr Gaston Rioux, président de l’OMVQ, affirme être sensible aux effets de l’inflation sur la pratique vétérinaire. « Il y a une croissance globale des coûts de la médecine vétérinaire, reconnaît-il. Comme dans bien d’autres secteurs, le coût du matériel et le coût de la main-d’oeuvre augmentent constamment. »

Le président de l’OMVQ souligne que les clients souhaitant contester le prix des soins vétérinaires peuvent s’adresser au syndic de l’ordre, ou même au conseil d’arbitrage des comptes.

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