
Permettre à des chiens de se promener sans laisse contribue à endommager des écosystèmes fragiles comme des forêts urbaines, soutiennent deux scientifiques interrogés par Le Devoir. En sortant des sentiers, les chiens piétinent les jeunes pousses d’arbres et les plantes indigènes, ce qui nuit à la régénération des forêts et contribue à l’apparition d’espèces envahissantes.
Au bois Summit, à Westmount, l’un des trois sommets du mont Royal défini comme un « sanctuaire d’oiseaux et de fleurs sauvages », des chiens, accompagnés de leur maître, peuvent se promener sans laisse pendant plusieurs heures de la journée, ce qui crée le débat (voir autre texte).
« Les arbres matures sont peu ou pas affectés par [la présence de chiens sans laisse], mais c’est le futur de la forêt qui est hypothéqué », soutient Alain Paquette, professeur de biologie à l’Université du Québec à Montréal et titulaire de la Chaire de recherche sur la forêt urbaine.
Les jeunes arbres, tout comme les plantes de sous-bois et les plantes printanières, souffrent du piétinement — qu’il soit causé par des chiens ou encore par des promeneurs qui sortent des sentiers. « C’est un gros enjeu pour la régénération de la flore de sous-bois et pour le remplacement éventuellement des arbres. »
En parallèle, le piétinement crée des trouées dans la forêt qui forment un environnement propice à l’apparition d’espèces envahissantes, explique le professeur qui a étudié de manière plus précise le bois Papineau à Laval, une forêt ancienne où là aussi des chiens se promenaient sans laisse il y a quelques années.
« Quand un sous-bois est intègre, il tend à résister à l’apparition des plantes exotiques envahissantes parce qu’il occupe l’espace », dit-il. Mais l’apparition de trouées crée des portes d’entrée pour ces plantes, plus résistantes au piétinement. Le nerprun ou l’anthrisque des bois, par exemple, prennent alors la place de plantes indigènes, comme le trille.
Bien que ces changements dans la forêt soient lents et difficilement perceptibles aux yeux des promeneurs, ils représentent « une transformation profonde de la dynamique d’une forêt qui va faire qu’on n’aura éventuellement plus une forêt naturelle ».
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Pressions multiples
Une inquiétude que partage Emma Despland, professeure d’écologie à l’Université Concordia et membre, comme Alain Paquette, du Centre d’étude de la forêt. « On voit que le boisé se dégrade », dit cette résidente de Westmount qui se promène au bois Summit. Une dégradation qui est en partie causée par les mêmes pressions que subissent les autres boisés de la région, en raison de l’agrile du frêne, de l’arrivée d’espèces envahissantes et des changements climatiques, notamment.
« Mais les chiens, c’est une pression de plus », mentionne la chercheuse, en pointant du doigt, elle aussi, les effets néfastes du piétinement. Aucun autre grand parc de Montréal ne permet la présence de chiens sans laisse, fait-elle remarquer. Les parcs de la SEPAQ et de Parcs Canada interdisent, eux aussi, la présence de chiens qui ne sont pas attachés.
« Je comprends que les propriétaires de chiens veulent avoir un endroit où ils peuvent se promener avec leur chien. C’est tout à fait raisonnable comme demande. Mais est-ce que ça doit être dans la seule vieille forêt qui existe à Westmount ? » se questionne Emma Despland.
Le fait que les chiens sont autorisés sans laisse au bois Summit depuis des décennies n’est pas un argument suffisant à ses yeux. Ce qui était possible dans les années 1990 ou 2000 ne l’est plus nécessairement aujourd’hui à l’heure de l’urgence climatique, fait-elle valoir. « Si on est sérieux dans notre volonté d’atténuer la crise de la biodiversité et de protéger nos vieilles forêts, ce n’est pas vraiment cohérent de permettre les chiens sans laisse. Oui, c’est dommage pour ceux qui perdent ce privilège, mais c’est un privilège qui n’est plus vraiment réaliste. »
Préserver
En entrevue au Devoir, la mairesse de Westmount, Christina Smith, se dit pour sa part convaincue qu’il est à la fois possible de préserver le bois Summit et de permettre aux chiens de s’y promener sans laisse.
« Les gens adorent ça. C’est un aspect de Westmount [le fait de pouvoir promener leurs chiens sans laisse] que les gens apprécient beaucoup », dit-elle. À ce jour, la Ville n’a pas effectué d’évaluation environnementale pour analyser l’incidence qu’ont les chiens sur le bois Summit. Mais l’an prochain, la Municipalité réalisera un plan directeur pour ses trois grands parcs, incluant le bois Summit. « Ça va couvrir la protection de l’environnement », assure la mairesse.
Jusqu’à maintenant, le débat sur la présence de chiens sans laisse a été « relativement civilisé » à Westmount, rapporte Ralph Thompson, journaliste à l’hebdomadaire Westmount Independent. Il note toutefois que la dégradation du boisé est perceptible en plusieurs endroits, notamment au niveau des sentiers, qui se sont élargis au fil des ans en gagnant du terrain sur la forêt.
« S’il faut faire des changements dans le futur, on peut regarder ça », dit Christina Smith. Déjà, pour favoriser la préservation du bois Summit, la mairesse prévoit bloquer les sentiers non officiels du boisé qui ont fait leur apparition pendant la pandémie. Elle évoque également la possibilité que des sections de la forêt soient fermées, en rotation, pour favoriser sa régénération, comme c’est le cas sur le Mont-Royal. Un effort est aussi consenti pour lutter contre les espèces envahissantes, assure-t-elle.
« C’est une forêt urbaine, donc il y a des défis qui viennent avec ça, mentionne la mairesse. Je sais qu’on a besoin d’investissements. »