
La ligne drôle
C’est en 2016 que l’humoriste Alex Lévesque, alors en pleine quête de sens, se lance le défi de produire une courte bande dessinée par semaine, même s’il n’a jamais tâté du genre et qu’il ne sait pas vraiment dessiner. Son projet, intitulé Dessine bandé, va connaître assez rapidement du succès sur les réseaux sociaux, même si, depuis, l’auteur a levé le pied sur la cadence en mettant l’effort sur la qualité plutôt que sur la quantité. Lévesque nous offre donc ici un florilège des meilleures bandes, dans ce premier recueil qui se lit d’une traite, puisque l’on se surprend à passer d’une page à l’autre, sans effort, les gags étant en général confinés sur une seule page. Son humour un peu nono, qui se prend à plusieurs degrés, accolé à des dessins plutôt simples (pensez à un mélange entre les très populaires Cyanide and Happiness et XKCD, disponibles en ligne) ont de quoi nous faire sourire et même un peu plus parce que, oui, on a ri fort, à quelques reprises.
François Lemay
Dessine bandé
★★★
Alex Lévesque, Nouvelle adresse, Montréal, 2023, 155 pages
Éternel octobre
Ne serait-ce que pour savoir s’il restait, encore, quelque chose de neuf à dire sur le FLQ et sur la crise d’Octobre, nous avions très hâte de nous plonger dans cet album, Mourir pour la cause, de Chris Oliveros. Fondateur de la très importante maison d’édition spécialisée en bande dessinée Drawn & Quarterly, Oliveros a justement quitté son poste pour se consacrer, entre autres choses, à cette série de deux albums portant sur la montée du FLQ durant les années 1960. Et le pari est bien relevé. Raconté comme si on avait trouvé des bobines d’entrevues pour un documentaire avorté de la CBC au milieu des années 1970 et axé autour de trois des figures fondatrices du Front, Georges Schoeters, François Schirm et Pierre Vallières, Mourir pour la cause dresse ce qui nous semble être un portrait assez juste du contexte qui mènera, à terme, à la crise d’Octobre, dans toute sa désorganisation et sa naïveté révolutionnaire. On a déjà hâte de lire le deuxième tome !
François Lemay
Mourir pour la cause
★★★★
Chris Oliveros, Pow Pow, Montréal, 2023, 164 pages
Le meilleur ami de l’homme
François Schuiten, formidable auteur belge à qui l’on doit entre autres Les cités obscures avec Benoît Peeters, revient sur le devant de la scène avec un hommage poignant à son chien, récemment disparu. Cet ouvrage monochrome, petit par sa forme mais grand par l’amour qui s’en dégage, raconte la relation fusionnelle entre l’homme et son animal, un joli retriever à poil plat. Après une existence commune de treize ans, Jim est parti paisiblement un matin de janvier 2023 des suites d’une maladie. « La seule thérapie valable » pour le dessinateur consiste alors à célébrer — à la plume et au pinceau — les tranches de vie marquantes de son fidèle compagnon de route à travers des portraits monochromes d’une finesse saisissante. Ainsi, les moments cocasses et drôles s’ajoutent aux instants de pure communion, tel un patchwork de souvenirs gravés pour toujours dans l’esprit. Bien plus qu’une lettre d’amour à son chien, le bédéiste de 67 ans signe un véritable album poétique sur le deuil.
Ismaël Houdassine
Jim
★★★ 1/2
François Schuiten, Rue de Sèvres, Paris, 2023, 128 pages
Faire tomber les masques
Tout commence lorsqu’un aéroplane s’écrase à la lisière de Lapyoza, petit hameau lacustre, dont les habitants sans histoire continuent de vénérer les croyances d’une ancienne culture engloutie. À son bord, un prénommé Pavil, qui prétend être un scribe arrivé sur les lieux par accident. Notre héros devra pourtant faire preuve d’une grande patience auprès des villageois afin de gagner leur confiance, car beaucoup d’entre eux redoutent la présence d’un espion à la solde de l’Empire. Dans les pages de ce roman graphique aussi sublime qu’énigmatique, l’humanité est fractionnée entre deux civilisations nées, semble-t-il, sur les ruines d’une histoire collective tragique. Inspiré par la légende chinoise de Hou Yi, le Français Jérémy Perrodeau a construit une oeuvre hypnotique qui marque par sa douceur et son atmosphère végétale, où l’on jurerait presque entendre le bruissement des feuilles sur les arbres et le clapotis des vagues.
Ismaël Houdassine
Le visage de Pavil
★★★ 1/2
Jérémy Perrodeau, Éditions 2024, France, 2023, 160 pages