C’était l’une de ces journées comme il y en a dans notre pays. Le matin, on était en novembre et au souper, presque en mai. Je suis donc parti avec notre chien Jazz, pour une autre belle balade dans le bois.

Derrière chez nous, c’est une grande chance, il y a un boisé qui appartient à une communauté religieuse et qui va jusqu’au camp Olier, un camp pour les jeunes. Les gamins sont là deux, trois mois par année. Le reste du temps, ce sont les gens du secteur qui empruntent les sentiers, souvent avec leur animal de compagnie. Des pancartes le permettent qui disent : « Merci aux propriétaires », « Soyez respectueux des lieux », etc.

Jazz est un chien spécial. Trop tout. Trop heureux, trop ému, trop curieux, trop intelligent. Le genre de chien qui attend impatiemment que l’on comprenne enfin qu’il est une personne comme les autres. Pas simple à élever ! Impossible à ne pas aimer. Ma compagne, Maude, a fait des merveilles avec lui. Et il n’a que deux ans et demi !

La balade se passe bien. Il prend le bois, mais me revient assez rapidement à chaque rappel. Il est content, je suis content et on est bien fiers tous les deux ; on va y arriver. Ça va être le meilleur chien du monde.

Souvent, on va vers la montagne, mais là, il n’y a personne au camp et le petit lac a calé, alors on va aller voir les canards, les bernaches, tout ça.

Jazz met un peu les pattes à l’eau, se promène sur la rive, moi je prends quelques photos dans cette belle lumière de fin d’après-midi printanière.

Les bernaches jacassent, quand soudain…

Un bruit, un cri.

Atroces.

Je ne les décrirai pas.

Mais je vivrai, à partir de ce moment-là, parmi les pires instants de mon existence. Je ne les souhaite à personne. Personne. Jamais.

Jazz a la tête dans un piège. Le cou brisé.

Rien n’était indiqué. Rien. C’est pourtant une obligation légale. Et ce n’est pas la saison de la trappe. Et cette pratique est interdite sur le territoire de Sainte-Anne-des-Lacs ! Ce lieu est fréquenté par des promeneurs, des promeneuses, leurs chiens, des enfants parfois. Les propriétaires et tous les gens du coin le savent. Le piège était tout près d’un sentier tournant autour du lac et à même pas 200 pieds de la route. Notre chien Jazz est mort la gorge brisée. Je ne le décrirai pas plus. Mais je dois écrire. Je dois.

Je veux que cet imbécile irresponsable réponde de ses actes. Si mon chien trop curieux n’était pas mort dans ce piège, c’est moi qui serais sans doute gravement estropié pour tout le reste de ma vie, après m’être déplacé de quelques mètres pour avoir une meilleure lumière pour ma photo…

Je n’oublierai jamais. J’ai hurlé au secours. Avez-vous déjà hurlé : « Au secours !!! … » ? Hurlé au secours plusieurs minutes en tirant de toutes vos forces sur une monstruosité en métal conçu par le démon lui-même ? Et sans que personne ne vienne ? J’ai couru pour en chercher, du secours. J’ai 65 ans, je n’ai plus le souffle que j’avais. Mais j’ai couru et je suis revenu avec deux hommes ; ça nous a pris au moins 15 minutes — 15 minutes ! — pour arriver à sortir la tête de ce beau chien joyeux et sans la moindre malice du piège de ce minable. Jazz était mort. Évidemment. Depuis longtemps.

Je vous épargne la suite.

Maude, qui s’est totalement investie dans l’éducation de notre chien, rentrait ce soir-là après une absence de trois jours au chevet de son père… Tout heureuse de nous retrouver, Jazz et moi. On s’est plutôt retrouvés cinq dans notre maison — la cavalerie du coeur, nos enfants, sont arrivés à toute vitesse —, cinq à pleurer de douleur, de tristesse, de rage et d’absurdité.

Si vous connaissez des gens qui utilisent ce type d’équipements, je vous en prie : expliquez-leur le b.a.-ba du savoir-vivre. Et si vous êtes du coin, de grâce, n’allez pas au camp Olier. Il y avait un piège, il y en a sûrement d’autres.

Est-ce un braconnier ? A-t-il été engagé pour faire ça ? Je n’ai pas la réponse. Mais si vous savez qui a fait ça : dites-le. Je sais que ceux et celles qui oeuvrent dans des métiers difficiles où la violence, la souffrance, la mort sont quotidiennement au rendez-vous, ces gens-là souvent développent une très grande solidarité, se comprenant entre eux comme nul autre ne peut les comprendre. Mais de la même façon qu’un policier intègre qui a du respect pour son travail ne devrait pas couvrir un collègue pourri, les trappeurs dignes de ce nom ne devraient pas tolérer, mais au contraire dénoncer ceux des leurs qui agissent de la sorte. Ces irresponsables vous font tous passer pour des imbéciles sadiques handicapés de l’émotion. Si vous savez de qui il s’agit, agissez s’il vous plaît.

Il faut que ça arrête. Il ne faut plus que ça arrive. C’est tellement minable comme comportement. J’ai peur pour mes voisins, leurs enfants, leurs animaux de compagnie. Et les animaux sauvages qui ne sont pas visés, mais que ces objets meurtriers briseront indifféremment. Quand on est un être qui se prétend humain, on ne se conduit pas de cette façon. C’est odieux, en plus d’être criminel.

Je ne peux terminer ce message sans dire la déferlante d’amour et de compréhension qui a dévalé vers nous, après que j’ai raconté cette horreur sur un réseau social. On avait l’impression de tout plein d’épaules qui se penchaient pour porter un petit bout de notre peine et de notre colère. Après avoir été confrontés à la violence et à la bêtise, nous avons rencontré une véritable galaxie d’empathie, de compassion, de bienveillance, de juste indignation. Ça fait quand même du bien. Ça le fait comme un peu moins mort, notre Jazz, dont le nom a vibré ainsi dans tant de coeurs… C’est un mystère pour moi que l’espèce humaine compte tant de braves gens, une majorité, je crois, et qu’elle puisse être aussi destructrice, mauvaise, inepte. Comme si les braves gens, par faiblesse, se laissaient mener par les pires d’entre nous… Pourtant, c’est nous, les plus nombreux, non ? Croyons en nous, croyons que la bonté peut gagner, croyons-le assez pour lui permettre de le faire.

Un jour, d’ailleurs, quand nous aurons enfin appris à dire « nous, les êtres humains », il serait plus qu’important que nous apprenions à dire « nous, les êtres vivants », nous, les chaînes de carbone miraculeuses ! Rappelons-nous parfois que le mot « âme » vient du latin anima… Et rappelons-nous toujours que sans eux, chevaux, bovins, dromadaires, chèvres, chiens, etc., nous n’y serions pas parvenus. Un peu de respect et de reconnaissance. Ça ferait du bien.

T’avais le droit de vivre, mon beau, t’avais le droit. Et tu savais tellement comment faire ça ! Et sans faire de mal à qui que ce soit. Beau grand fou tout en coeur, grande joie bondissante… Merci d’avoir sauvé ma jambe et ma vieillesse…

Aidez-nous à trouver qui a fait ça. Aidez-nous surtout à faire en sorte que ça n’arrive plus jamais.

PS Je peux maintenant ajouter que les autorités du camp Olier ne sont pas responsables. Ils n’ont demandé à personne de mettre ce piège. La directrice semblait dévastée. D’ailleurs, le site est maintenant fermé et interdit à la promenade jusqu’à nouvel ordre.

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